mana kikuta

21.4.2016

Télérama / Sabrina Silamo

Disparition de la mémoire

Quel souvenir garde-t-on de l’être aimé ? La Japonaise Mana Kikuta répond à la question en évoquant la légende de Callirrho, la fille d'un potier de Corinthe qui, au VIe siècle av. J.-C., dessina sur un mur au charbon de bois et à la lueur d’une lampe le profil de son amant. Pour évoquer l'impression évanescente de cette trace, Mana Kikuta utilise le collodion humide, un procédé inventé au XIXe siècle, et des plaques de verre sur lesquelles se superposent deux, trois ou cinq portraits. Le tout forme un ensemble poétique intitulé Comme la lune qui, fixé perpendiculairement à la cimaise, permet de jouer sur le positif et le négatif. Durant sa résidence, c'est à Muybridge (1830-1904), connu pour ses décompositions photographiques du mouvement, qu'elle rend hommage. Mana Kikuta a photographié les gestes d'un jeune musicien jouant d'un violon imaginaire, puis les a reportés sur des plaques de verre – qu'elle a ensuite empilées telle une sculpture.

8.4.2016

Nouvelle Republique / S.A

Parmi les huit photographes internationaux en résidence à Niort, la Japonaise Mana Kikuta est hantée par le processus photographique. Première rencontre.

Pendant toute la semaine, les jeunes artistes en résidence se photographient mutuellement pour la NR. Ici Mana Kikuta, portrait réalisé par Heriman Avy (Madagascar)
Une série de photos comme un haïku, épuré, où le silence entre les plaques de verre exposées est comme le silence entre les mots : il bavarde avec votre imagination. Visible avec toute sa part invisible, le travail de la Japonaise Mana Kikuta est exposé à l'espace Michelet, à Niort. Pour réaliser cette série au collodion humide, la photographe, 29 ans, a fait appel à douze jeunes femmes éloignées de leurs bienaimés en leur demandant de penser très fortement à leurs amants. Voici l'œuvre de Mana Kikuta : capter l'indicible, les silences emplis de mots, la lumière du souvenir qui se révèle dans l'objectif.
A l'origine de sa vocation, il y a ce choc. « Mon grand-père m'a demandé de le photographier. Il m'a fait comprendre, subtilement, sans le dire, qu'il voulait que je réalise son portrait, celui qu'on utilise ensuite pour l'autel dédié à la mémoire. C'était terrible, c'était comme si en acceptant cette photo, j'acceptais sa mort. Après son décès, quand je suis tombé sur cette photo dans l'autel, j'ai eu ce sentiment particulier de sa présence ». Native d'Hiroshima, elle évoque aussi la mortelle lumière intense qui se fixe dans le souvenir. Elle est habitée par la représentation, hantée par le processus photographique. Passée notamment par une année de résidence artistique à Arles, elle va consacrer son immersion niortaise au parcours d'un jeune musicien. Avec l'intention de fixer les mouvements de son violon à travers ses fidèles plaques de verre, sa fibre. Le millefeuille de ses pensées.

18.3.2016

Le Monde.fr

« Traverser les pensées de ses modèles par le truchement de la lumière au travers d'une plaque de verre où figurent trois ou quatre superpositions de portraits, c’est ainsi que je pourrais résumer cette photographie réalisée au collodion humide par Mana Kikuta. »

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/photo/portfolio/2016/03/18/niort-expose-la-jeune-photographie_4885831_4789037.html#FVLTwOZtM3asBJgW.99

8.3.2016

Info Chalon /

Mana Kikuta est photographe, après 1 an passé à Arles où elle se perfectionne et après avoir rencontré le Directeur de l’Ecole Media Art, Dominique Pasqualini, à Hiroshima, elle intègre le 24 rue Fructidor à Chalon-sur-Saône pour passer son Master. Aujourd’hui, en post-Master, Mana Kikuta partage son temps entre Chalon-sur-Saône et Paris où elle est assistante d’artiste. Son exposition : « Memory Garden » rencontre un vif succès.
Que représente pour vous « la Journée de la Femme » ? C’est un peu étrange pour moi cette « journée de la femme », elle n’existe pas au Japon. Existe-t-il aussi ici une « Journée de l’homme » ? (rires)
Au long de votre vie ou de votre carrière, avez-vous vécu des inégalités hommes/femmes ? Jusqu’à très récemment, les femmes au Japon n’avaient pas trop accès aux emplois dits à responsabilité mais il y a des progrès, notamment en matière de divorce, cela est désormais possible. Personnellement, je n’ai pas rencontré de telles difficultés, ni à Hiroshima où je suis née et que j’ai quitté à 18 ans, ni à Tokyo où j’ai vécu pendant 8 ans. Je pense que le changement est intervenu avec ma génération, j’ai travaillé, là-bas, pendant 4 ans en tant que photographe sans problème de ce genre.
Quelle est votre devise, votre philosophie ? J'admire Simone Weil et Jean Luc Nancy.
Que défendez-vous ? Le fait de rester authentique même dans des situations délicates ou pénibles. Au Japon, j’étais volontaire dans un hospice auprès de personnes en fin de vie pour leur prodiguer des soins et des massages, face à eux, j’ai dû surmonter la peur d’être confrontée à des situations sensibles. Le plus beau cadeau que l’on puisse faire c’est de rester naturelle et agir avec disponibilité et proximité comme on le ferait avec des personnes en bonne santé.
Que voulez-vous transmettre ? Par la photographie, je veux montrer le reflet, la trace de quelqu’un qui n’est pas là mais qui existe encore dans le monde même si on ne peut plus voir. C’est pourquoi, j’articule mon travail autour du souvenir, de la mémoire.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ? C’est un conseil qui me vient de ma grand-mère et qui est de ne pas ménager ses efforts. Ma mère également, nous a toujours donné le conseil de rester libre, elle nous a toujours laissé la liberté de faire ce que l’on avait envie même si cela est difficile pour elle, cette liberté m’a conduit en France et ma sœur en Italie.
Quelle est/ quelles sont les femmes qui vous ont le plus influencée ? Il me semble que les artistes femmes ont un point de vue important. Je me nourris beaucoup de l’influence de Tomoko Yoneda qui est une photographe installée à Londres.

2015

Marie Gautier / théoricienne

À travers l’ensemble des douze portraits photographiques intitulé "Comme la lune" Mana Kikuta matérialise le sentiment doux-amer du souvenir de l’être aimé dans lequel sont plongés les femmes représentées. Maintenues temporairement à distance de leur lieu de vie, ces femmes ont dû également faire le choix de vivre loin de la personne avec qui elles la partagent. Quoi de plus doux alors, de plus rassérénant, que de penser à celui ou celle qu’on aime ? Mais quoi de plus douloureux aussi, que de penser à l’autre quand il est impossible de le rejoindre…

Mana Kikuta s’est inspirée du récit de la fille de Dibutade tiré de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien qui raconte les origines de la peinture et de la sculpture. Amoureuse d’un jeune homme, la fille de Dibutade potier de la ville grecque de Sicyone, eu l’idée de tracer le profil de son amant en s’aidant de son ombre portée sur le mur. Le potier couvrit ensuite d’argile les contours tracés par sa fille et réalisa un portrait en bas-relief. La photographie est également héritière de ce récit, mais les portraits réalisés par Mana Kikuta se proposent moins d’être une métaphore des origines de la photographie que le prolongement imaginaire de l’histoire d’amour entre la fille de Dibutade et le jeune homme dont le profil fut tracé sur le mur. Il existait désormais une image sur laquelle s’appuyer pour se figurer l’être aimé pendant son absence.

Ce récit fait écho à l’histoire personnelle de Mana Kikuta et celle-ci décide alors d’en donner une interprétation en invitant d’abord douze femmes venues de différents pays à raconter leur histoire, leur sentiment par rapport à l’absence de l’être aimé. Toutes lui parlent « d’amour et d’indépendance » dit-elle, certaines évoquent des couleurs et d’autres encore, la façon dont elles envisagent leur avenir. En faisant leur portrait, la photographe retient ces instants de témoignages, mais c’est au moment de la prise de vue que Mana Kikuta capte l’essentiel en leur demandant de penser à la personne qu’elles aiment. Transposées sur des plaques de verre à l’aide du collodion humide, un procédé technique inventé au dix-neuvième siècle, les portraits apparaissent ainsi en transparence laissant percevoir au spectateur, les traits du visage de la femme photographiée. Deux plaques d’un même portrait sont ensuite superposées et maintenues à un centimètre de distance permettant de voir, selon les angles choisis, les variations opérées par la lumière sur les images. Dans leurs écrins, ces portraits de femmes évanescents, nous permettent à la fois de voir, de ressentir la distance et l’absence qu’elles vivent au quotidien.

Comme la lune que l’on aperçoit au loin et sur laquelle on projette le visage de la personne qui nous manque, les portraits de Mana Kikuta sont autant d’étoiles sur lesquelles se reflètent le bonheur d’aimer et la douleur de l’absence.